L’Europe du gaz, emmenée par les Allemands, aiguise les appétits de la Russie et… des Etats-Unis
Par Michel Gay
Le besoin croissant en gaz de l’Union européenne (UE), emmenée par l’Allemagne et son fumeux « tournant énergétique », aiguise les appétits de la Russie et des Etats-Unis pour devenir ses principaux fournisseurs.
Ce gaz sera nécessaire en Europe pour sa production d’électricité suite aux fermetures (en cours et prévus) des centrales à charbon et nucléaires, et aussi pour son chauffage qui basculera encore plus vers le gaz si l’électricité devient trop chère, comme en Allemagne.
Diminution prévue du charbon et du nucléaire
La Belgique a décidé une sortie du nucléaire qui a produit 50% de son électricité en 2019. Le principal fournisseur d’électricité de ce pays est Engie… qui est partenaire du projet de gazoduc Nord Stream 2 en mer Baltique vers l’Allemagne.
L’Allemagne abandonnera à la fois le nucléaire (dès 2022) et le charbon (en 2035) pour produire son électricité. Il est prévu que les énergies renouvelables, mais surtout les importations de gaz remplaceront cette production.
Et si la France (exportatrice d’électricité décarboné à 90%) continue de fermer ses installations nucléaires, alors sa folle politique énergétique conduira aussi à des besoins accrus de l’UE en gaz naturel.
Cette diminution de la production d’électricité d’origine thermique (charbon et nucléaire) n’est pas compensée (et ne pourra pas l’être) par les énergies renouvelables intermittentes (EnRI), et notamment celles du vent et du soleil.
Même si la consommation d’électricité ne représente que 20% de l’énergie consommée en Europe (les 80% restants étant principalement issus du pétrole et du gaz pour le transport et le chauffage), il s’agit d’un marché juteux.
La Russie se réjouit
La Russie se réjouit de la situation et propose son gaz via son géant gazier Gazprom et son gazoduc Nord Stream qui la relie directement à l’Allemagne par la Mer du Nord.
Pour les Russes, l’Union Européenne est un excellent débouché commercial. Le transport par gazoduc est plus simple et moins cher que par navires à condition d’éviter le passage par les pays pouvant créer des problèmes de distribution (Pologne et Ukraine).
Déjà lié au groupe gazier Gazprom, l'ancien Chancelier allemand Gerhard Schröder (entre 1998 et 2005) a été élu en septembre 2017 président du conseil d'administration du géant pétrolier russe Rosneft.
Comme Chancelier, il soutenait déjà le projet de gazoduc Nord Stream arrivant directement en Allemagne en empruntant des fonds marins pour sécuriser un approvisionnement massif et sûr en gaz de son pays.
Gazprom et ses associés allemands (comme le chimiste allemand BASF) sont maîtres de l’approvisionnement en gaz de l’Europe.
L’Allemagne championne du gaz
En prévision des nouveaux besoins de gaz pour compenser la baisse du nucléaire et du charbon qu’ils encouragent, les Allemands ont lancé Nord Stream 2, le projet de doublement du gazoduc.
La Commission Européenne, présidée par l’Allemande Ursula Von Leyen a proposé de favoriser financièrement les activités non carbonées.
Or, le gaz naturel (méthane) pose problème, car émetteur de gaz carbonique. Il n’entre pas dans la nouvelle classification européenne des activités non carbonées (taxonomie) permettant de bénéficier de financements privilégiées (subventions).
L’Allemagne bataille néanmoins pour qu’il ait sa place dans cette taxonomie en proposant une alliance franco-allemande pour que le gaz naturel et le nucléaire ne soient pas exclus de la taxonomie…
Grâce aux gazoducs Nord Stream 1 et bientôt Nord Stream2, l’Allemagne gagne sur les deux tableaux :
- 1) Elle sécurise son approvisionnement en gaz pour compenser l’intermittence des EnRI,
- 2) et elle devient de facto la plateforme centrale de distribution du méthane qui sera la principale source d’énergie stable de l’Europe pour succéder à la décroissance du charbon et du nucléaire.
Tant pis pour les autres pays européens qui devront passer par les fourches caudines de la Russie et de l’Allemagne (et peut-être aussi des Etats-Unis) pour avoir refusé de développer l’énergie nucléaire.
L’Allemagne est aussi championne… du charbon et du mazout
Le secteur électrique en Allemagne est moins développé qu’en France. Les ménages allemands utilisent peu l’électricité pour le chauffage qui dépend toujours (pour 25%) du… mazout (faiblement taxé dans le secteur résidentiel) moins cher que les tarifs dissuasifs de l’électricité…à cause des taxes destinées subventionner les énergies renouvelables.
La réputation de l’Allemagne (bien entretenue) de championne des renouvelables vient de la confusion entre électricité et énergie. En 2019, sa part des productions de toutes les énergies renouvelables (14%) est comparable à celle de la France, et elle est inférieure à celle du charbon (22%) dans sa consommation totale d’énergie (dont l’électricité).
Comme les EnRI ne suffisent pas, l’arrêt du nucléaire et du charbon conduit l’Allemagne à consommer davantage de gaz naturel (méthane).
Ce combustible « transitoire » (qui peut durer longtemps…) émet 40% de moins de gaz à effet de serre que le charbon, à condition de ne pas comptabiliser ses fuites durant l’extraction et le transport.
Gaz naturel et hydrogène : une solution transitoire ?
L’hydrogène doit être fabriqué !
Son obtention à partir de l’électrolyse de l’eau n’entraîne aucun dégagement de gaz carbonique…à condition que l’électricité utilisée ait été produite par un processus décarboné. Aujourd’hui, la production à partir du gaz naturel est meilleur marché et bien plus importante. Mais elle entraîne des dégagements de gaz carbonique (CO2).
Le 10 juin 2020, l’Allemagne a adopté sa Stratégie Nationale pour l’Hydrogène consistant à produire de l’hydrogène « bleu » (et non pas « vert ») à partir… du « craquage » de gaz naturel (dont il dépendra) et d’une électricité issue de sources renouvelables (solaire et éolien), en s’appuyant sur sa puissante industrie chimique.
Cette volonté allemande de décarbonation de la production d’hydrogène à partir du gaz naturel (méthane) importé principalement de Russie est un leurre destiné à soutenir son industrie chimique et automobile.
Or, l’objectif (perdu de vue) de la transition énergétique de l’Europe est bien de diminuer la consommation des énergies fossiles. Et le gaz naturel en fait partie.
Il serait bien plus efficace, comme actuellement, d’utiliser directement ce méthane dans les moteurs et pour le chauffage.
Les Etats-Unis attaquent…
Les Etats-Unis considèrent que l’Union Européenne, et notamment l’Allemagne, va constituer un débouché de plus en plus important pour le gaz naturel, mais ils voient d’un mauvais œil la concurrence des Russes.
Les Américains ont correctement analysé la désastreuse politique énergie-climat européenne qui conduit à des besoins accrus en gaz naturel. Ils ne veulent pas rester à l’écart de ce gigantesque « business » et manœuvrent pour vendre leur gaz de schiste à l’Europe, et notamment à l’Allemagne qui en aura le plus besoin avec la fermeture de ses centrales nucléaire en 2022, et à charbon en 2035.
Alors, ils attaquent sur deux fronts :
1) En attaquant le deuxième gazoduc russe Nord Stream 2 par des mesures de rétorsions commerciales sur les entreprises participant à ce chantier pour empêcher ou limiter les livraisons de Gazprom car le gaz de schiste américain arrivant par bateaux en Europe devrait être plus cher que le gaz russe.
Ainsi, le doublement du gazoduc (Nord Stream 2) était terminé à 90% en décembre 2019 (il manquait 160 km), mais le 20 décembre 2019, le Président Trump a promulgué une loi imposant des sanctions contre les entreprises associées à ce chantier qui, de ce fait, a été immédiatement stoppé.
Cependant, en mai 2020, un navire russe poseur de pipelines est arrivé en mer Baltique pour terminer le gazoduc malgré les sanctions américaines.
2) En préparant un projet de loi sur l’approvisionnement énergétique de l’UE intitulé « Protecting Europe’s Energy Security Clarification Act » qui impose des règles et des sanctions pour la livraison de gaz… à l’Europe !
… pendant que l’Europe sombre dans les énergies renouvelables
La politique énergie-climat européenne dite « Pacte Vert pour l’Europe » doit mener à long terme (en 2050), à une situation idyllique où les EnRI auront remplacé les combustibles fossiles…
Seule l’Europe, et notamment l’Allemagne, semble y croire.
Les transports et le chauffage sont les deux obstacles majeurs à l’échec de la réalisation des objectifs climatiques allemands. Leur part des énergies renouvelables non électriques est d’environ 5% depuis 10 ans dans le transport, et d’environ 14% dans la production de chaleur depuis 7 ans.
Une solution consisterait à augmenter la part de l’électricité décarbonée dans ces deux secteurs mais le rythme de croissance des renouvelables n’est pas acquis.
En Allemagne, les bioénergies plafonnent du fait des possibilités du sol, et l’apport de l’hydraulique ne dépend que des précipitations annuelles car la plupart des sites possibles ont été équipés.
Le solaire contribue peu (1,5 TWh/an), la biomasse a atteint ses limites et l’éolien marin se développe lentement (lourdeur des investissements et des travaux en mer).
L’apport supplémentaire des renouvelables en Europe, et notamment en Allemagne, se limite donc au solaire et principalement à l’éolien terrestre qui, de 2015 à 2019, a représenté près de 60% du supplément des renouvelables. Mais sa croissance ralentit face à l’hostilité des populations au fur et à mesure de son déploiement.
En conséquence, il ne faut pas compter sur à un apport significatif de l’électricité décarbonée dans de nouveaux domaines, y compris pour une production massive d’hydrogène, car les énergies renouvelables ne suffiront même pas à remplacer le nucléaire et le charbon retirés.
Si le nucléaire n’est pas davantage développé, des centrales à gaz supplémentaires deviendront nécessaires pour la production d’électricité, ce qui implique le maintien, voire l’augmentation, d’émissions de gaz carbonique.
En conclusion
Les Etats-Unis ont bien compris qu’à travers la politique ruineuse conduite par l’Allemagne et son fumeux tournant énergétique (EnergieWende) fondé sur des EnRI, et surtout sur le gaz russe, toute l’Europe allait devenir un débouché juteux pour leur gaz de schiste.
Par des pressions « tous azimuts », ils s’opposent au doublement du gazoduc de Gazprom qui amène le gaz russe directement en Allemagne par la mer Baltique pour mieux vendre le leur.
Il en résulte un conflit commercial, diplomatique et politique inédit entre l’UE (notamment l’Allemagne), la Russie et les Etats-Unis.