Le COVID-19 rapproche l’Europe du « Black-out »

Par Michel Gay

Alors que l’électricité est un bien vital pour notre économie, une note de « France-Stratégie » (une institution autonome placée auprès du premier ministre) indique le 21 avril 2020 que le confinement actuel fragilise dangereusement le système de production d’électricité en France et en Europe.

La demande s’est affaissée

La consommation d’électricité en France s’est affaissée de 15% à 20%. Les réseaux électriques des pays européens étant interconnectés, et les marchés couplés, des baisses de prix se sont généralisées en Europe, y compris pour les contrats à terme en 2021 et 2022. Les marchés anticipent donc une longue crise.

Cette situation nouvelle entraine une grande incertitude sur la robustesse du système de production d’électricité.

Outre l’impact mécanique de la baisse des ventes à un tarif déjà fixé, les producteurs dont la production n’est pas subventionnée (EDF et Engie en France) voient aussi diminuer leurs revenus associés aux quantités qu’ils écoulent sur les marchés.

Les gestionnaires des réseaux électriques (RTE et ENEDIS en France) enregistreront une diminution de leurs recettes car le tarif d’utilisation du réseau (appelé TURPE) dépend de la quantité d’électricité acheminée. Leurs dépenses étant essentiellement fixes car constituées d’investissements, le TURPE devra nécessairement augmenter en 2021 pour couvrir ces dépenses, ce qui augmentera mécaniquement le prix de l’électricité pour le consommateur final.

Une diminution de 10 % de la consommation d’électricité induirait une augmentation du tarif de 5 % environ.

La baisse des prix du marché de gros va également augmenter le coût du soutien public aux énergies renouvelables (notamment l’éolien et le solaire) disposant d’un tarif d’achat garanti sur la presque totalité des volumes produits (hors grande hydroélectricité).

Avec un tarif d’achat d’une valeur moyenne pour l’éolien de 70 euros par mégawattheure (€/MWh) et un prix de marché qui était de 55 €/MWh, le coût du soutien était de 15 €/MWh.

Mais avec un prix de marché actuel à 20 €/MWh, le coût de ce soutien financier public passe à 50 €/MWh !

En 2020, le soutien financier aux énergies renouvelables électriques représentera 65 % des charges de service public de l’énergie, soit environ 5,2 milliards d’euros selon la Commission de régulation de l’énergie (CRE).

Toutefois, la majorité des producteurs d’énergie renouvelable ne sera pas touchée par la crise… puisque le prix d’achat est garanti sur la quasi-totalité des volumes produits !

Mieux encore, si le producteur d’énergie renouvelable (éolien en général) voit sa production interrompue par le gestionnaire de réseau pour des raisons techniques, il est rémunéré à hauteur de ce qu’il aurait pu produire !

Un système électrique qui devient instable

Le système électrique devient instable car lorsque la demande baisse, la part des moyens de production non pilotables (typiquement l’éolien et le solaire) augmente, et elle peut même dépasser la demande. Dans ce cas, la priorité d’injection sur le réseau des énergies renouvelables aléatoirement variables imposée par la loi conduit les gestionnaires de réseaux à arrêter des centrales pilotables (charbon, gaz ou nucléaire) alors qu’elles permettent d’assurer l’équilibre offre-demande à court terme grâce à leur flexibilité.

De plus, de nombreuses installations industrielles sont à l’arrêt ce qui prive le système d’un levier important d’ajustement de la consommation en faisant varier leur consommation d’électricité à la demande de RTE. Cette absence « d’absorption » modulable réduit encore les marges pour assurer en permanence l’équilibre du réseau.

La sécurité du réseau est fragilisée.

L’Allemagne, qui dispose d’importantes capacités éoliennes et solaires a connu plusieurs situations de « quasi-black-out » en juin 2019, mais heureusement (pour elle mais aussi pour toute l’Europe) elle a profité d’une position géographique centrale privilégiée pour exporter et importer dans les périodes critiques.

La chute de l’activité économique a fragilisé le système électrique parce que :

  • La part relative des énergies renouvelables intermittentes dans la production d’électricité a accru la volatilité des productions et des prix de marché. Cette situation délicate nécessite la présence de plus de moyens flexibles sur le réseau pour compenser leurs énormes fluctuations de productions, mais ceux-ci se trouvent mis à l’arrêt en l’absence de débouchés pour leurs productions !
  • La crise conduit à décaler des travaux de maintenance qui devaient avoir lieu d’ici l’hiver prochain. Ce décalage pèsera sur la disponibilité des centrales pilotables au moment où le froid les sollicitera davantage, ce qui fragilisera tout le système électrique européen.

Les conséquences de la chute d’activité sur la consommation d’électricité invitent à réexaminer la robustesse des systèmes français et européen de production, de transport et de distribution d’électricité afin qu’ils puissent répondre aux défis des années à venir.

De plus, la décarbonation de l’économie conduira à une hausse de la part de l’électricité dans la consommation d’énergie mais nos systèmes électriques n’y sont pas prêts…

Et la future ruineuse programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) en préparation par le gouvernement aggravera encore cette situation en faisant la part belle aux énergies renouvelables intermittentes.

 

Tous les ingrédients sont réunis pour une nouvelle catastrophe dans le domaine de la production d’électricité après celle liée à la crise sanitaire du Covid-19.

 

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