Le mythe du foisonnement éolien en Europe
par Michel Gay
Le « foisonnement » espéré de la production d’électricité éolienne en Europe pourrait-il compenser l’intermittence locale du vent ?
Les réseaux électriques sont interconnectés au niveau européen. Ce maillage permet de satisfaire des besoins de consommation (jusqu’à un certain point selon la grosseur des « tuyaux »). Il permettrait d’aller chercher les productions d’énergies renouvelables là où elles sont disponibles, à un moment donné. C’est le foisonnement des productions.
Pour les trente prochaines années, des scénarios énergétiques fleurissent en Europe. La Communauté Européenne a aussi élaboré le sien « Energy roadmap 2050 » qui est sa feuille de route.
Certains d’entre eux supposent une croissance régulière de la consommation d’électricité, et d’autres une forte réduction. La plupart intègrent un déploiement massif des énergies intermittentes (éolien et solaire en particulier). L’équilibre nécessaire entre la production et la consommation instantanées d’électricité est passé sous silence.
Ces scénarios envisagent plusieurs moyens d’action pour tenter de compenser cette faiblesse :
- limitations temporaires de consommation (effacements des consommations ou tarifs dissuasifs),
- utilisation d’énergies stockables, soit fossiles (comme le gaz), soit renouvelables (comme l’hydrogène, le méthane de synthèse, ou les barrages hydroélectriques),
- et, bien sûr, développement d’une solidarité européenne fondée sur un « foisonnement » des productions intermittentes des différentes zones climatiques (le vent des Mers du Nord et Baltique et le soleil du bassin méditerranéen).
Une nouvelle organisation de la société
Tous ces raisonnements séduisants sont bâtis à partir de modèles sommaires et ne s’appuient pas sur des études techniques réalistes fondées sur l’expérience. Il s’agit pourtant de sujets touchant à l’organisation de la société qui nécessitent une optimisation globale.
L’étude d’Hubert Flocard et Jean-Pierre Pervès montre la réalité d’une production éolienne en France et en Europe de l’ouest (7 pays) pendant 7 mois de septembre 2010 à mars 2011. Elle montre que le foisonnement est faible, voire inexistant. Sa synthèse en 8 pages est ici.
Les résultats sont clairs :
1) Le foisonnement en France (en dépit de ses trois régimes de vents) et en Europe reste limité. Les puissances minimales et maximales correspondent respectivement à 4% et 60% de la puissance totale installée. Des pénuries surviennent lors d’épisodes de grands froids ou de canicules lorsque les besoins en énergie sont importants.
2) Les variations rapides de la production non pilotée et une puissance « garantie » faible (inférieure à 5% de la puissance installée) imposeront un usage massif de centrales à gaz (ou nucléaires ?) en « soutien » pour satisfaire la demande.
Annexe à l’article « Le mythe du foisonnement éolien en Europe »
Extrait modifié de l’étude complète originale qui est ici.
Quel est l’importance du foisonnement ?
L’éolien par nature intermittent est relativement prévisible à court terme (quelques jours à quelques heures). La figure 1 montre cependant d’importantes erreurs de prévisions.
De toute façon, la production éolienne restera imprévisible sur des bases mensuelles et saisonnières.
Fig.1 : Production éolienne allemande pour la période du 18 au 21 janvier 2012 (courbe noire) et erreur de prévision à 24h (courbe rouge).
Les données sont extraites du site transparency.eex.
L’erreur de prévision est la différence entre la production effective et la prévision de production. L’échelle des ordonnées est en MW. L’échelle des abscisses est graduée en heures. La puissance installée du parc éolien allemand s’élevait en janvier 2012 à 29 GW.
Ainsi le 19 janvier 2012 en fin d’après-midi, par suite d’une arrivée brusque de vent, l’éolien allemand atteignait une productivité de 65%, la prévision avait alors sous-estimé cette production de 7,5 GW.
Quelques heures plus tard, à l’inverse, la prévision avait surestimée la production de 4 GW.
C’est donc l’équivalent de 11,5 GW de centrales « pilotables » qu’il a fallu mobiliser dans un sens (arrêt) puis dans l’autre (démarrage) en moins de 4 heures.
Sur l’ensemble des mois de Janvier et Février on compte six épisodes pour lesquels l’amplitude de variation de l’erreur de prévision à 24h a été supérieure à 6 GW en moins de six heures.
Or l’obligation de réguler précisément la production d’électricité pour l’accorder à une consommation instantanée variable est impérative. Elle réclame une planification des productions des réseaux européens interconnectés et la mise en place de centrales de secours (à gaz, pétrole ou charbon) fonctionnant à temps partiel.
La situation française durant l’hiver 2010/2011
La production éolienne en France pendant l’hiver 2010/2011, soit du 1er septembre 2010 au 31 mars 2011, suivie par tranches de 15 minutes par RTE, est montrée à la figure 2.
Cette période automne/hiver est généralement la plus ventée en moyenne et la consommation électrique y est la plus importante.
Les productions éoliennes de 6 autres pays européens pendant la même période permettent de faire des comparaisons.
La production d’électricité éolienne en France sur cette période à été de 6.570 GWh pour une puissance installée moyenne de 5650 MW (environ 3500 éoliennes), soit une productivité moyenne (aussi appelée facteur de charge) de 23% sur 7 mois. La production totale d’électricité du pays étant dans la même période de 320.500 GWh.
La contribution intermittente de l’éolien a été de 2% avec des variations rapides, même si la France bénéficie de trois régimes de vents.
Fig. 2 - Production éolienne en France de septembre 2010 à mars 2011
(la courbe donne l’évolution heure par heure, ces valeurs étant extraites du site Eco2mix de RTE qui fournit ces données par ¼ heure)
Les extrêmes suivants sont observés:
- - Puissance minimale : 180 MW soit 3,3 % de la puissance installée (Pn) ; des puissances inférieures à 10 % de Pn sont observées 7 fois.
- - Puissance garantie, (celle sur laquelle le gestionnaire du réseau peut compter en permanence), inférieure à 5% de Pn.
- - Puissance maximale : 3875 MW, soit 71 % de Pn, avec 7 épisodes dépassant 60% de Pn ou 112 MW.
- - La plus importante variation a été de 380 MW par heure, soit de 7% de la Pn en une heure. Il y a aussi eu des variations de 2900 MW (soit 50% de Pn) en 24 h.
La période de novembre 2010, qui a vu une seconde quinzaine caractérisée par de grands froids, confirme une tendance de l’éolien : le manque de vent lors de grand épisodes anticycloniques (c’est le cas environ 4 fois sur 5).
La figure 3 montre que la puissance éolienne moyenne n’a été que de 16% pendant les 15 jours du 15 au 30 novembre avec des périodes de 2 à 3 jours avec des puissances inférieures à 10% de Pn. Pendant cette période la puissance appelée sur le réseau était importante (jusqu’à 90.000 MW).
Fig. 3 - Évolution de la puissance éolienne en France en novembre 2010
(courbe et échelle de gauche)
et de la température moyenne
(échelle de droite, en traits rouges journées chaudes et en traits bleu les journée froides)
Figure 4 : La production éolienne est mise en regard de la consommation totale d’électricité pendant cette même période en France. Elle a été négligeable pendant la période froide malgré 3500 éoliennes représentant une puissance installée de 5650 MW.
Fig. 4 - Puissance totale (en MW) appelée en France en novembre 2010
et puissance fournie par l’éolien (en bas)
En 2030, l’hypothèse retenue est celle d’une consommation d’électricité maintenue au même niveau qu’aujourd’hui (hypothèse correspondant simultanément à une meilleure efficacité énergétique et à une poursuite du développement des usages de l’électricité, par exemple dans les transports).
Si, comme le prévoient certains scénarios avec énergies renouvelables prépondérantes, la puissance éolienne installée était portée à 55.000 MW, avec une baisse notable de l’électricité nucléaire (baisse de moitié ou plus), il serait nécessaire de gérer simultanément de fortes variations de la puissance éolienne horaires, quotidiennes, hebdomadaires et saisonnières.
En supposant les mêmes conditions climatiques que dans la période 2010/2011, la figure 5 ci-dessous met en regard ce que seraient ces variations en 2030 avec une puissance éolienne presque 10 fois supérieure (53.000 MW au lieu de 5650 MW).
La puissance éolienne installée, bien que considérable, est encore quasiment absente pendant les 15 jours de grands froids à partir de mi-novembre.
Fig. 5 - Puissance totale (en MW) appelée en France en novembre 2030 (même appel qu’en 2010)
et puissance fournie par l’éolien (en noir : puissance installée 53.000 MW)
et l’hydraulique (en bleu)
Sur la période de 15 jours entre le 15 et le 30 novembre 2030 (336ème à 720ème heure sur les figures 4 et 5), la consommation d’énergie serait de 27.000 GWh par jour et l’éolien ne pourrait fournir que 3.000 GWh, soit 11% du besoin. Pourtant, la puissance installée des éoliennes serait du même niveau que la puissance nucléaire.
L’hydraulique pour sa part fournirait 2.700 GWh. Même avec une hypothèse optimiste d’augmentation de 20% de l’énergie fournie par l’hydraulique en 2030 pour contribuer au suivi journalier, d’autres moyens devront compenser une pénurie de courant éolien dans un tel épisode climatique. L’apport du solaire en hiver est limité. Comment faire si, au nom de la politique de diminution des émissions de CO2 préconisée par l’Europe, on s’interdit le charbon et le gaz ?
La situation Française en janvier/février 2012 et l’apport comparé du nucléaire, de l’éolien et du solaire
Hubert Flocard et Jean-Pierre Le Gorgeu ont examiné la vague de froid de février 2012 en France :
Ils montrent la même difficulté à gérer l’éolien pendant une vague de froid atypique caractérisée par des vents violents qui ont encore augmenté l’impression de froid, et accentué les besoins d’énergie. La publication, dont est extraite la figure 6, montre la variation par quart d’heure des puissances comparées réelles fournies par trois moyens de production différents (nucléaire, éolien et solaire), ramené chacun à 1 GW de puissance installée :
Fig. 6 : Période du 23/01 au 19/02 2012.
Toutes les courbes indiquent, pour un moyen de production donné, la puissance qu’il a livrée au réseau (en MW) par GW de puissance installée (1GW=1000MW) en France ou en Allemagne.
La courbe bleue correspond au Nucléaire France,
la courbe verte à l’éolien France
et la courbe rouge au solaire PV Allemagne.
Données françaises : eCO2mix/RTE. Données allemandes : transparency.eex.
Pour un même GW de puissance installée :
- - Les centrales nucléaires fournissent une puissance de 0,95 GW, quelques réacteurs sur les 58 étant en arrêt pour rechargement ou visite décennale, et les autres fonctionnant à 100% de leur capacité.
- - Les 3500 éoliennes fournissent en moyenne 0,2 GW par GW installé, sauf lors de trois épisodes courts de vents forts (1 à 2 jours) ou elles atteignent des pics de 0,55 à 0,61 GW.
Dans une hypothèse 2030 avec 50 GW de puissance éolienne installée, le réseau aurait eu à supporter le 2 février, en moins de 24 heures, une augmentation de puissance d’environ 20 GW, puis 2 jours après une baisse de même amplitude, tout en mobilisant la totalité des autres moyens de production pendant cette période glaciale de 2 semaines.
Faute de renseignements sur la production solaire en France la figure ci-dessus présente aussi la productivité du solaire en Allemagne aux mêmes dates : elle n’est que de 4% en moyenne, soit 0,04 GW par GW installé, malgré parfois un temps plutôt ensoleillé.
Le rythme est régulier mais le solaire injecte dans le réseau une puissance dont la variation est rapide, s’ajoutant à l’occasion à celle de l’éolien. Le rendement serait un peu meilleur en France (5% au lieu de 4% à la même période de l’année), ce qui ne changerait rien.
Le foisonnement de la production éolienne en Europe de l’Ouest
La production éolienne en Europe répond-elle aux besoins grâce à la variété et la complémentarité des régimes de vent impliqués dans ce vaste espace géographique et au foisonnement des productions qui devrait en résulter ?
Les productions éoliennes horaires de l’hiver 2010/2011 de 7 pays, qui représentent un bon échantillonnage de l’Europe de l’ouest, ont été enregistrées heure par heure.
Fig. 7 - Empilement des productions éolienne en Europe de l’Ouest (7 pays),
heure par heure et en MW, de septembre 2010 à mars 2011
Le résultat, présenté en figure 7, révèle une variabilité encore forte. Toutefois les deux productions de l’Allemagne et de l’Espagne, qui représentent à elles seules 75% de la puissance installée fin 2010, sont prépondérantes. Ce ne devrait plus être le cas en 2030 car ces deux pays atteindront rapidement le niveau d’implantation éolienne maximum supportable alors que, dans le même temps, les autres pays devraient avoir augmenté considérablement leurs contributions dans les scénarios avec énergies renouvelables renforcées.
La contribution éolienne 2030 de chaque pays a ainsi été établie en affectant à la production réelle 2010/2011, à climat équivalent, un coefficient multiplicateur correspondant au ratio des puissances prévues en 2030.
Fig. 8 - Empilement des productions éoliennes en MW, sur 7 mois d’hiver, qu’auraient les 7 pays pour une puissance éolienne totale triple de l’actuelle (187500 MW au lieu de 65000).
La contribution de chaque pays est représentée par une couleur différente. L’enveloppe des courbes correspond à la production totale.
Les fluctuations de la puissance restent marquées.
Dans le scénario 2030 les puissances minimales et maximales correspondent respectivement à 4% et 60% de la puissance totale installée (Pn).
La puissance moyenne s’élève à 21% de la puissance installée avec des minima et des maxima légèrement moins marqués que ceux montrés sur les courbes françaises. Il y a donc un faible effet de foisonnement.
Il est préoccupant de constater :
- des épisodes globaux de pénurie de puissance éolienne (moins de 15% de Pn) apparaissant par grands froids durant une à deux semaines (sur la figure 8 les anticyclones sont indiqués par des segments horizontaux de couleur rouge).
Un exemple de cette situation est montré ci-dessous figure 9 par un « zoom » de la figure 8 correspondant en novembre 2030, à une période similaire à celle de novembre 2010. L’ensemble de l’Europe de l’Ouest peut être affecté par un anticyclone pendant des durées de plusieurs semaines, conduisant à des productions faibles, de l’ordre de 15% de la puissance totale pendant une dizaine de jours, voire même inférieure à 10% pendant deux jours. Bien que particulièrement longs, ces épisodes se reproduisent tous les deux ou trois ans alors que des périodes sans vent de quelques jours s’observent plus fréquemment (par exemple en décembre 2010 et par deux fois en janvier 2011 (voir fig. 6)
Fig. 9 - Empilement des productions éoliennes cumulées en MW sur un mois (novembre/décembre 2010, qu’auraient les 7 pays pour une puissance éolienne totale triple de l’actuelle (187500 MW au lieu de 65000).
La contribution de chaque pays est représentée par une couleur différente par empilement.
La puissance « garantie » est la puissance sur laquelle le gestionnaire de réseau peut compter. Avec l’éolien, elle est limitée à environ à 5% de Pn.
Une puissance de secours très importante est donc requise, sans espoir qu’elle puisse provenir du solaire, particulièrement en hiver.
Un examen des 6 mois d’été montre également des pénuries de production éolienne en situations anticycloniques, avec des températures élevées, le solaire pouvant cependant apporter une compensation partielle.
Les limites du foisonnement
Le foisonnement reste limité pour la France malgré trois régimes de vent. C’est également le cas pour toute l’Europe de l’Ouest : les puissances maximales et minimales européennes (63 % et 4,1 % de Pn) sont à peine plus favorables que celles constatées en France (71 % et 3,3 % de Pn).
De plus, les périodes d’appel maximal de puissance, en hiver comme en été, sont généralement anticycloniques et l’éolien devient inefficace dans ces situations (4 fois sur 5 environ) sur de longues durées (une à deux semaines).
Il reste à démontrer que la production de l’éolien marin (malgré un coût de production au moins double) serait plus régulière à partir de données mesurées plutôt qu’anticipées. Une analyse de 17 mois de production du parc offshore écossais Robin Rigg montre qu’il n’y a pas de miracle.
Dans tous les cas, il y a peu de gain à attendre en période de vent calme (anticyclonique) et le foisonnement de la production d’électricité éolienne en Europe restera un mythe.