Pollution de l’air en France : 48 000 ou… 11 morts par an

 Par Michel Gay

C’est à peine croyable et pourtant c’est vrai. Les 48.000 morts par an en France à cause de la pollution atmosphérique évoqués par les plus hauts responsables de l’Etat, et repris complaisamment par de nombreux médias, reposent sur une étude de 2016 aux apparences savantes mais… « bidon » !

Le plan anti-pollution du gouvernement français présenté en juillet 2018 indique en toute lettre que la pollution de l’air par les particules fines causerait 48 000 décès prématurés par an en France. Malgré son caractère surprenant (9% environ des décès en France seraient provoqués uniquement par la pollution de l’air), ce chiffre n’a pas fait l’objet de réserves dans la presse, à quelques exceptions près, et ni dans les milieux politiques. La Maire de Paris, Anne Hidalgo, s’était déjà appuyée sur cet argument en 2017 pour le plan anti-pollution de la Ville de Paris, et il a été repris par le Président de la République le 27 novembre 2018 pour justifier les taxes sur les carburants.

La source semble sérieuse puisqu’il s’agit d’un rapport de l’agence « Santé Publique France » (SPF), qui a évalué le nombre de décès prématurés attribuables, en France, aux particules de rayon inférieur ou égal à 2,5 micromètres (PM 2,5), en utilisant un nouveau modèle mathématique.

Que mesure exactement ce chiffre de 48 000 morts ?

Une lecture attentive du rapport SPF révèle bien des surprises pour les habitués des études épidémiologiques

Une fourchette d’incertitude entre 48 000 morts et… 11 morts !

Il est à noter que le nombre de décès prématurés calculés par le modèle de SPF varie fortement en fonction de la référence de pollution considérée comme « normale ». Ce nombre varie tout de même de 48 000 décès annuels en prenant comme référence les parties du territoire français les moins polluées… à 11 décès en prenant comme référence le seuil de particules fines recommandé par l’Union Européenne !

SPF a pourtant privilégié l’interprétation maximaliste de 48 000 décès, ce qui revient à remettre en cause les normes actuelles sur la pollution de l’air de l’OMS. Et c’est le seul chiffre retenu et cité par les journaux.

Un résultat théorique et non validé présenté comme une vérité établie.

Le rapport de SPS présente des lacunes pour le moins surprenantes.

  • Il ne contient AUCUN résultat de validation du modèle utilisé (aucune comparaison entre les mortalités calculées par leur modèle dans chaque commune, et les mortalités réellement enregistrées). Quand les auteurs affirment que leur modèle correspond bien à la réalité, il faut les croire sur parole…
  • Ce calcul de mortalité repose sur l’application d’un risque relatif (qui définit la relation entre la mortalité et la concentration en particules fines de l’air) choisi par les auteurs, et d’une valeur double de celle retenue habituellement par les méta-analyses citées dans leur bibliographie.

Pollution de l’air et facteurs de confusion

Le modèle statistique utilisé calcule des corrélations géographiques entre la mortalité (toutes causes non accidentelles confondues) et le niveau de pollution de l’air.

Or ce type de corrélations est susceptible d’être affecté par des facteurs de confusion (voir aussi l’étonnant paradoxe de Simpson) difficiles à corriger.

Ainsi, l’espérance de vie est fortement liée à la catégorie socioprofessionnelle, et, dans les grandes villes, les personnes les plus aisées habitent rarement les quartiers les plus pollués. Il y a donc là un biais, en particulier pour des actifs sur de grandes agglomérations.

A l’échelle d’un pays, les zones les moins polluées sont souvent des zones rurales avec des modes de vie et d’alimentation distincts de ceux de populations urbaines. Il est donc hasardeux de comparer leur niveau de mortalité à celui des villes polluées.

De plus, dans le cas de la France, la comparaison à grande échelle géographique est compliquée par des inégalités régionales d’espérance de vie, constatées depuis longtemps par les démographes. En particulier un axe Nord-Sud d’augmentation d’espérance de vie est généralement expliqué par les bienfaits du régime alimentaire méditerranéen…

Par conséquent, l’effet de l’alimentation pourrait être un facteur de confusion avec l’effet de la pollution, mais cette question n’est pas abordée par SPF. L’effet sur l’espérance de vie que cette agence attribue à la pollution (3 à 4,5 ans d’écart entre les zones les plus et les moins polluées) expliquerait à lui seul la différence entre les départements.

Comme l’effet de l’alimentation irait globalement dans le même sens, il devrait donc s’ajouter à celui des PM 2,5 mais il n’en est rien. Donc un des deux effets est imaginaire…, ou alors les deux existent mais ils sont tous deux surestimés !

Selon SPS, la pollution expliquerait à elle seule la majeure partie des hétérogénéités régionales de mortalité. C’est bien sûr possible, mais c’est surprenant. Pour valider cette hypothèse de l’effet dominant des PM 2,5 sur la mortalité, il faudrait vérifier l’accord entre mortalité et pollution à des échelles géographiques plus fines.

Malheureusement, les auteurs ne fournissent aucun résultat de validation de leur modèle.

38 000 morts dans le monde… dont 48 000 en France ?

Cette étude de SPF penche donc dangereusement vers la… pseudoscience.

La présentation embrouillée laisse croire que les mortalités invoquées ont été calculées à partir des données de mortalité réelles, alors qu’il s’agit de simulations théoriques faites par un modèle non validé, et dont les facteurs de confusion potentiels ne sont pas étudiés.

Avant cette publication, plusieurs autres travaux reposant sur les mêmes méthodes, avaient déjà obtenu des résultats de l’ordre de 40 000 décès prématurés par an en France. Cette estimation a donc fini par s’imposer en dépit de son caractère surprenant.

Tout se passe donc comme si la mortalité chronique due aux PM 2,5 était devenu un dogme que les spécialistes de la pollution ne cherchent même plus à vérifier.

Or, au même moment, un article paru dans Nature a chiffré les décès dus aux PM 2,5 (et en plus aux oxydes d’azote) à 38 000 morts par an…dans le monde, dont 28 000 dans l’Union Européenne !

A comparer aux 48 000 morts par an pour la France seule (uniquement pour les PM 2,5…) calculés par SPF ! Cherchez l’erreur !

Qui veut noyer son chien…

En résumé, ce chiffrage de 48 000 morts est la fourchette haute d’un intervalle dont la fourchette basse est de … 11 morts !

Ces chiffres sont sans fondement. Ils proviennent d’un modèle statistique purement théorique avec un choix méthodologique inhabituel (risque relatif choisi a priori d’une valeur double de la valeur habituelle par les auteurs et non calculé à partir des données réelles de mortalité), et d’hypothèses « audacieuses » qui auraient besoin d’être démontrées.

Ce comportement est surprenant pour une agence d’évaluation sanitaire censée s’appuyer sur des méthodologies scientifiques éprouvées… et validées au niveau international !

Par curiosité, il serait intéressant de voir à quel pourcentage de mortalité ce modèle arriverait (80%, 150% ?) pour une ville comme Pékin, incomparablement plus polluée que les pires villes françaises.

Raison et norme

Les auteurs du rapport de SPF déclare sans sourciller que le nombre de décès en excès causés par la pollution serait bien de… 11 en prenant comme référence le seuil européen de 25 μg de PM 2,5/m3 d’air. Mais, en prenant leur référence « à eux », il est bien de… 48 000. Ce qui revient à dire que la norme européenne sous-estime d’un facteur supérieur à 4000 le nombre de victimes de la pollution !...

Pourquoi pas ? Mais « Wouaouh ! » comme dirait Nabila…

Cela mériterait une validation à l’international, sauf si les Français sont particulièrement sensibles à la pollution.

La prudence scientifique la plus élémentaire aurait donc dû conseiller de ne pas publier de tels chiffres incertains et alarmants fondés sur une hypothèse « audacieuse » (farfelue ?) sans fournir de comparaisons avec les données réelles de mortalité, et sans avoir testé sa plausibilité dans d’autres pays que la France.

Mais quand une hypothèse répond si bien aux préoccupations politiques du moment, il est difficile de résister à la gloire de la notoriété et du succès médiatique… au détriment de l’intérêt général.

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