Transformer le CO2 en carburant : encore une idée lumineuse et ruineuse

Par Michel Gay

Merveilleux ! Transformer en carburant du gaz carbonique (CO2) en le combinant avec de l’hydrogène extrait de l’eau grâce à de l’électricité (par électrolyse), voilà une idée lumineuse et… ruineuse qui permettra à quelques-uns de rêver encore longtemps aux miracles.

L’idée est de faire croire qu’il sera possible de pomper du CO2 dans l’air ambiant, ou à la sortie d’une usine de ciment par exemple, pour le transformer en méthanol. Ce futur carburant pour nos véhicules serait produit à l’aide « d’un peu d’électricité » issue des surplus intermittents des énergies renouvelables, ou du nucléaire.

Mais personne n’a la moindre idée du coût final de ce fabuleux carburant.

De plus, cela supposerait de construire une centaine de réacteurs nucléaires EPR pour produire l’électricité nécessaire à la synthèse du méthanol afin de remplacer la totalité des carburants fossiles consommés actuellement dans nos véhicules en France…

Électrolyse de l’eau

L’énergie électrique théorique nécessaire à la production d’un mètre cube (m3) d’hydrogène à la pression atmosphérique par électrolyse de l’eau est de 3 kWh. En pratique industrielle, elle se situe entre 5 et 6 kWh, soit 55 à 66 kWh pour produire 1 kg d’hydrogène qui occupe un volume de 11 m3.

Les électrolyseurs alcalins industriels représentent l’investissement le plus important dans le procédé global. Ils produisent actuellement en moyenne 180 tonnes d’hydrogène par mégawatt (MW) électrique installé chaque année, soit 0,5 tonne par jour (t/j) et par MW.

Le coût de production d’hydrogène obtenu serait de 4 €/kg à 7 €/kg selon le coût initial de l’électrolyseur et le temps de fonctionnement sur une année.

Dans la suite de cet article, le coût moyen choisi est de 5 €/kg pour un coût d’électrolyseur de 1,2 million d’euros par mégawatt installé (M€/MW), 7000 heures de fonctionnement par an (80% du temps), et un coût d’électricité à 70 €/MWh.

Pourquoi le méthanol ?

L’hydrogène est un gaz dangereux, difficile à manier, à stocker, et à transporter.

Actuellement, deux molécules concurrentes se présentent pour stocker et manier plus facilement l’hydrogène : le méthane (gaz qui se liquéfie à moins 161 degrés) et le méthanol.

Ce dernier est plus intéressant car il présente l’avantage majeur d’être liquide dans les conditions ambiantes. Il est par conséquent plus facile à stocker et à intégrer aux systèmes de distribution des carburants existants auxquels il peut se substituer avec moins de risques et à un coût acceptable. La technologie actuelle des moteurs peut facilement être adaptée pour fonctionner avec du méthanol tout en réduisant la pollution.

De nombreux produits peuvent être dérivés du méthanol tels que le diméthyle éther (DME) utilisé comme carburant dans les moteurs diesel, et le méthyltert-butyl-éther (MTBE) utilisé comme additif dans les carburants.

Quels sont les enjeux de coûts ?

Un réacteur nucléaire EPR de 1600 MW couplé à des électrolyseurs produira 3200 t/j de méthanol consommant 40.000 MWh d’électricité. Le kg de méthanol comprend donc au minimum 0,87 € d’électricité.

Il faudra aussi prendre en compte la consommation des unités de synthèse, ajouter le coût d’achat ou d’extraction du CO2 encore inconnu (qui ne sera certainement pas gratuit), l’amortissement des unités de synthèse, et le coût de fonctionnement de l’ensemble (personnel, entretien,…).

Une estimation grossière peut aboutir autour de 1,2 €/kg de méthanol au minimum à la sortie de l’unité.

Or, ce kg de méthanol contient deux fois moins d’énergie (5,5 kWh) qu’un kg d’essence ou de diesel (12 kWh) dont le coût de production est d’environ 0,6 € à la sortie de la raffinerie.

Le coût de production énergétique du méthanol (0,22 €/kWh) est donc au moins 4 fois plus élevé que celui de l’essence (0,05 €/kWh).

En maintenant les taxes sur les carburants au niveau actuel (1 € par litre d’essence contenant 10 kWh, soit 0,1 €/kWh), il faudra payer 3,2 € pour l’équivalent énergie en méthanol (10 kWh = 1,8 litre de méthanol), contre 1,5 € aujourd’hui pour un litre d’essence ou de diesel.

Quels sont les enjeux quantitatifs

L’équation chimique ci-dessous indique que 44 tonnes de gaz carbonique (CO2) et 6 tonnes d’hydrogène (H2) sont au minimum nécessaires pour produire 32 tonnes de méthanol (CH3OH) et de l’eau (H2O).

CO2 + 3H2 à CH3OH + H2O

Pour succéder uniquement au pétrole importé pour le transport (50 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep), il faudrait produire 110 millions de tonnes (Mt) de méthanol par an, soit… 300.000 t/j issues d’environ 50.000 t/j d’hydrogène combinées à 450.000 t/j de CO2. (Voir en annexe les calculs pour l’obtention de ces chiffres).

Et comment obtenir tout ce CO2 ?

Environ 100 EPR de 1600 MW seraient au minimum nécessaires pour produire ces 300.000 t/j de méthanol !

Capter le CO2 dans l’air sera difficile… L’air ambiant (qui pèse 1,3 kg par m3) contient 0,04% de CO2 (0,5 grammes par m3). Des aspirateurs électriques et des filtres gigantesques devront traiter chaque jour 9000 milliards de m3 (près de 12 milliards de tonnes d’air en supposant que tout le CO2 soit extrait), soit un volume d’air d’environ 100 km de côté et 1000 m de haut pour extraire quotidiennement ces 450.000 tonnes de CO2…

La consommation électrique d’une telle « usine à gaz » devra être gigantesque sachant qu’un réacteur d’un Airbus A 380 à pleine puissance (40 MW) n’aspirait « que » 100.000 t/j d’air, il en faudrait donc… 120.000 ! (4800 gigawatts (GW) de puissance alors que la totalité du parc nucléaire en France ne représente que 63 GW).

Les effluents gazeux de l’industrie du ciment contiennent de 14 à 33 % de CO2 en masse et produisent entre 630 et 760 kg de CO2 par tonne de ciment selon les différentes régions du monde.

En prenant une moyenne de 0,7 tonne de CO2 émis par tonne de ciment, il faudrait produire 650.000 tonnes de ciment chaque jour en France.

Or, la production française est de moins de… 50.000 tonnes par jour (17 millions de tonnes en 2017).

Et d’où proviendraient les énormes quantités d’électricité nécessaire ?

Intermittence et tampon d’hydrogène

Pour utiliser uniquement les surplus des pics de production des énergies renouvelables quand il y a du vent et du soleil, le choix du prix seuil de l’électricité influence grandement le temps de fonctionnement annuel de l’unité et sa rentabilité.

Plus le prix seuil d’électricité est élevé, plus sa part augmente dans le coût de production mais, en sens contraire, le temps de fonctionnement annuel important permet d’optimiser l’investissement et le matériel.

L’effet d’un fonctionnement variable et intermittent sur la durée de vie de l’unité n’est pas connu si l’alimentation en électricité est fournie par des énergies renouvelables à la production aléatoire. En effet, les unités de synthèse de méthanol actuelles fonctionnent en régime permanent avec de l’hydrogène issu du gaz naturel.

Faut-il donc s’approvisionner en électricité à longueur de journée avec des centrales nucléaires dédiées, ou éviter les pics de consommation en produisant seulement de l’hydrogène pendant les périodes creuses, ou de surproduction des énergies renouvelables, lorsque les prix de l’électricité sont bas ?

En ajoutant un stockage tampon d’hydrogène comprimé à chaque électrolyseur pour pouvoir fonctionner une journée en autonomie, le nombre d’interruptions diminue fortement.

Mais quel est le coût supplémentaire ?

L’opération de compression d’hydrogène peut nécessiter 15 % de la quantité d’énergie contenue dans des réservoirs solides résistants aux hautes pressions (jusqu’à 700 bars).

Pour des prix seuil faibles de l’électricité (inférieurs à 45 €/MWh), le nombre d’arrêts devient important et la durée de fonctionnement annuelle de l’unité de synthèse de méthanol passe en dessous de six mois. Ces interruptions auront des effets néfastes sur les performances du matériel dont les électrolyseurs imposent de fonctionner à 25 % ou à 100 % de leur capacité. Il n’y a quasiment pas de régimes intermédiaires.

Un rêve ruineux assis sur des subventions

Produire de manière significative du carburant méthanol (ne serait-ce qu’un quart de la consommation du transport en France nécessiterait 25 EPR dédiés) avec du CO2 en le combinant avec de l’hydrogène par électrolyse restera ruineux et industriellement utopique.

Cependant, cet idéal merveilleux du recyclage perpétuel du CO2 en carburant grâce au vent et au soleil, ou même grâce à l’énergie nucléaire, permettra à quelques-uns de rêver longtemps, et à d’autres de vivre tranquillement de recherches subventionnées pendant des décennies…

ANNEXE (calculs des productions quotidiennes d’H2 et de CO2)

 

En supposant une conversion totale en méthanol des 180 tonnes d’hydrogène par MW dans les électrolyseurs, la production annuelle serait de 960 tonnes de méthanol par MW d’électrolyseur installé (180 x 32 / 6).

Mais le rendement de la conversion se situe un peu au-dessus de 80% et la production annuelle est de 760 tonnes de méthanol par MW en incluant les arrêts pour l’entretien (960 x 80% = 768 tonnes), soit une moyenne d’environ 2 t/j sur l’année.

La consommation annuelle d’énergie du transport en France atteint 50 millions de tonnes équivalent pétrole (tep), soit 140.000 tep/jour, soit encore 600 térawattheures (TWh) ce qui correspond à 1,65 TWh/j (1 Mtep contient 12 TWh).

Or, 1 million de tonnes (Mt) de méthanol contient seulement 5,5 TWh.

Donc, pour succéder uniquement au pétrole importé pour le transport en énergie, il faudrait (600 / 5,5 =) 110 Mt de méthanol par an, soit (110 / 365 =) 300.000 t/j issues de la production d’environ 50.000 t/j d’hydrogène combinées à 450.000 t/j de CO2.

 

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