Climat, justice et politique : si on ne peut même plus promettre n’importe quoi tranquillement…

Par Michel Gay et Jean-Pierre Riou

Repris de l’interview de Jean Pierre Riou dans Atlantico

https://www.atlantico.fr/decryptage/3575469/ces-decisions-en-faveur-de-l-environnement-qui-pourraient-bien-etre-attaquees-en-justice-demain-pour-lui-avoir-nui

Le 25 juin 2019, le tribunal de Montreuil (Seine-Saint-Denis) a reconnu l'inaction de l'État, visé pour « carence fautive » dans la lutte contre la pollution de l'air en Île de France.

Ainsi, il pourrait aussi être reproché à l’État le non-respect de ses promesses politiques inscrites dans la loi, même si elles s‘avèrent intenables (abandon partiel du nucléaire, de la voiture thermique sans alternative crédible, …).

Un cadre contraignant

Le Cadre européen pour le climat et l’énergie à horizon 2030 impose l’objectif contraignant de réduire les émissions de CO2 de 40% par rapport à 1990.

Or, étrangement, la France a choisi de mobiliser la plus grosse part de l’investissement public de sa Stratégie nationale bas carbone (SNBC) dans la restructuration de sa production d’électricité pourtant déjà décarboné.

Et elle projette, en même temps, de fermer des réacteurs nucléaires pour réduire jusqu’à 50% la part de leur production d’électricité… qui n’émet pas de CO2.

Où est la cohérence ?

En mai 2018, après 6 mises en demeure non suivies d’effet, Bruxelles avait renvoyé la France devant la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) pour non-respect de la Directive européenne de 2008 sur la qualité de l’air.

Dés lors, la justice ayant été saisie par une plaignante qui imputait ses problèmes respiratoires aux pics de pollution, le tribunal de Montreuil ne pouvait que constater une carence de l’État dans les efforts mis en œuvre pour respecter cette directive européenne.

Mais il est important de noter que le tribunal a considéré que le lien de causalité entre cette pollution et les troubles respiratoires de la plaignante n’était pas démontré et que le dépassement des valeurs limites de pollution ne pouvait constituer, à lui seul, une carence fautive.

Le tribunal n’a donc pas retenu la demande d’indemnisation qui était de 160 000 euros.

Le politique et la loi…

L’intervention du juge dans l’appréciation de l’action de l’État doit attirer l’attention des politiciens sur le caractère contraignant des promesses électorales, dès lors qu’elles s’inscrivent dans la loi !

Or ces promesses ignorent souvent la faisabilité de leur mise en œuvre.

C’est le cas, notamment, de l’interdiction des moteurs thermiques à horizon 2040, avant même qu’une alternative pérenne soit clairement identifiée.

C’est aussi le cas de l’inscription dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) du remplacement de réacteurs  nucléaires par des énergies renouvelables électriques dont l’intermittence des productions fatales interdit pourtant de remplacer une seule installation programmable.

L’Allemagne en fait la ruineuse expérience en restant incapable de réduire son parc de production programmable, depuis 2002, malgré le développement d’un imposant doublon intermittent éolien et solaire.

Les effets d’une politique énergétique désastreuse, mais conforme à la loi, risquent d’échapper à l’appréciation du juge.

C’est ainsi que l’État s’expose à être assigné devant la justice si des dispositions inscrites dans la loi ne sont pas respectées, sans qu’il soit nécessaire de démontrer le lien entre cette carence et le préjudice invoqué.

En cette période de réflexions avancées sur la future programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), le tribunal de Montreuil rappelle donc les risques des lois déconnectées de la réalité.

La gestion du risque

La gestion du risque ne doit pas céder à l’émotion médiatique sous peine de faire courir un danger bien plus grand encore en cédant à l’opinion pour se protéger d’un danger mineur.

La production d’énergie la moins dangereuse est l’énergie nucléaire. Elle est responsable de moins de morts par kWh produit que chacune des autres filières, éolien compris.

La menace du juge fera-t-elle réfléchir le politique en échec sur le climat pour avoir notamment confondu objectifs et moyens, ou bien, au contraire, l’encouragera-t-elle dans une fuite en avant vers l’intensification du développement des énergies renouvelables ?  

Car le juge ne se prononce pas sur l’efficacité des politiques, mais uniquement sur les efforts engagés par l’État pour respecter les promesses, dès lors que celles-ci sont inscrites dans la loi.

C’est ainsi que 121 milliards d’euros de soutien public sont déjà engagés dans les contrats d’énergies renouvelables électriques pour tondre un œuf, puisque le parc électrique français est déjà décarboné à plus de 90% depuis près de 30 ans.

Mais la pertinence de la loi qui encadre ce développement n’est pas de la compétence du juge. En revanche, ses modalités d’application le sont.

Raisonnement et sensibilisation

Les tonitruantes annonces diverses de suppression du diesel, des voitures à moteurs thermiques en 2040, et partiellement du nucléaire, semblent davantage destinées à satisfaire une opinion mal informée qu’à répondre aux défis énergétiques actuels, et notamment à notre sécurité d’approvisionnement.

Le caractère de plus en plus religieux de l’écologie politique creuse chaque jour le fossé qui la sépare de la science. La médiatique Greta Thunberg y représente désormais la grande prêtresse de Gaïa qui draine dans la rue les lycéens pour sauver le climat, et appeler à la récession (pardon : la décroissance).

La mobilisation croissante de la jeune génération par les « verts » dans le « sauvetage de la planète » est inquiétante. Car cette génération est perméable aux clichés véhiculés par les médias, et loin de la réalité.

Une majorité de français (69%) croit que le nucléaire est néfaste pour le climat en raison de fortes émissions  de CO2. Cette idée fausse est partagée par 86% des 18-34 ans alors que le nucléaire français est particulièrement décarboné, avec 5,45 grammes de CO2/kWh, tandis que l’éolien est estimé à plus de 10 grammes et le solaire à plus de 40 grammes… Par comparaison, le kWh en Allemagne (si vantée pour ses énergies renouvelables) émet en moyenne 560 grammes de CO2, soit 100 fois plus !

Dans une logique « brumeuse, quatre ONG ont demandé à la fois au gouvernement de lutter davantage pour le climat… et de fermer les centrales nucléaires (lors de « l’Affaire du siècle »).

Cette désinformation de la tranche d’âge la plus engagée pose la question du rôle de l’Éducation nationale, puisque le thème des énergies renouvelables y est traité via l’intervention d’acteurs de la filière. L’importance des sommes en jeu fait craindre  leur manipulation par des intérêts financiers internationaux.

La raison semble avoir disparu du débat. Elle est remplacée par une sensibilité qui suscite une véritable dictature de l’émotion.

La géostratégie mondiale n’est pas un long fleuve tranquille. Les conséquences des utopies actuellement en vogue, et qui s’inscrivent de plus en plus dans la loi, n’ont pas fini d’être soulignées par les juges et payées par nos enfants.

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