Electricité : 10 associations professionnelles européennes tirent la sonnette d’alarme

Par Michel Gay

Le 9 octobre 2018,  10 associations nationales de compagnies d'électricité de 10 pays européens[1] ont signé à Berlin une déclaration commune (traduction en français en pièce-jointe) pour avertir de la fragilisation de la sécurité d'approvisionnement d'électricité en Europe dans un futur proche.

Pour la France, le signataire est l'Union Française de l'Electricité (UFE) regroupant EDF, RTE, le Syndicat des Energies Renouvelables, Direct Energie, Total,... 

Les productions « fiables » diminuent

Avec l’arrêt de centrales nucléaires en Allemagne et fossiles en France, notamment au charbon, la puissance assurée pilotable diminue dans toute l’Europe. Dans un avenir proche, les capacités de production de différents pays européens ne suffiront plus pour répondre à la demande.

De plus, le communiqué note que "les capacités de production d'électricité issue des énergies renouvelables intermittentes (ENRI) continuent à se développer". Ces productions étant fatales, leurs variations quasi-aléatoires doivent être compensées par des apports de centrales "pilotables", c'est à dire non solaires ou éoliennes.

Or, " la capacité de ces centrales pilotables diminue dans de nombreux pays. Si cette évolution n'est pas contrecarrée dans quelques années à peine, la solidarité entre les pays, jusque-là pratiquée, sera compromise...". Pour éviter des coupures générales, chaque pays coupera les échanges avec le ou les pays dont le réseau électrique s'effondrera.

La conférence de Berlin a confirmé que sur la prochaine décennie l’Allemagne ne doit pas compter exclusivement sur les possibilités de secours frontaliers pour assurer sa sécurité d´approvisionnement lors des épisodes de faible production d´éolien et de photovoltaïque.

La Suisse aussi se préoccupe de la capacité d’exportation décroissante de ses principaux partenaires. «Aujourd’hui, s’en remettre aux futures importations de courant venant d’Allemagne et de France n’est pas une bonne stratégie et représente un risque important», déclare le Suisse Michael Wider.

Le communiqué indique que la situation se dégrade "car les conditions actuelles du marché ne permettent pas la construction de nouvelles centrales pilotables, ni d'installations de stockage d'électricité".

La fédération allemande des entreprises avaient déjà publié une analyse similaire en août 2018.

Eviter le « black-out » !

 Il s'agit maintenant d’assurer la sécurité d'approvisionnement de l'Europe en électricité pour éviter des coupures.

Jusqu’à présent, le fondement de la politique européenne a été de faire jouer la concurrence  entre compagnies d'électricité dans l’espoir de diminuer le prix de l'électricité. Le résultat est aujourd’hui à l’opposé.

Les gigantesques subventions soutenant le développement des EnRI de certains États européens dont les rouages financiers sont aux mains d’une écologie politique antinucléaire, l’Allemagne en tête, ruinent cette concurrence et déstabilisent le marché.

Une vraie concurrence aurait pu, au contraire, servir le développement d’un système électrique robuste et économiquement rationnel.

"Des mesures attrayantes doivent être prises pour la construction des centrales électriques pilotables et d'installations de stockage de l'électricité" indique le communiqué.

Il faudrait donc subventionner la construction de nouvelles centrales thermiques pilotables, des capacités de stockage,… et tout ça en plus des aides financières grandissantes aux EnRI qui continuent de se développer, alors que la France veut fermer Fessenheim en parfait état de fonctionnement

Aucune conséquence de ces mesures sur les factures des consommateurs n'est évoquée, ni l'impact sur les émissions de CO2 des centrales "pilotables " à gaz et à charbon qu’il faudra (re) construire.

Casser le nucléaire « trop avantageux » pour la France ?

Les 10 associations arrivent à des conclusions aussi désolantes parce que des gourous verts régnant en maître à Bruxelles, où les représentants français n’ont que des strapontins, ont voulu casser la position dominante et « trop » avantageuse d’EDF en Europe, grâce à son nucléaire.

Ses artisans sont en voie d’obtenir cette « casse » de la production nucléaire en France… et ils entrainent avec elle l’ensemble du système électrique européen !

Cette falsification du marché qui subventionne abusivement les EnRI au détriment d’un appareil productif sûr et pilotable n’a pas d’autre but que de ruiner cette concurrence du nucléaire français. Cette production abondante et bon marché dérange les intérêts financiers d’autres pays européens, notamment l’Allemagne dont la transition énergétique fondée sur les EnRI est au bord de l’échec selon sa propre Cour des comptes.

Ce « laisser-faire » s’apparente à une trahison de nos responsables politiques.

Changer de cap devient urgent

Pour remédier à cette situation ubuesque, il faudrait basculer rapidement les aides d’État attribuées aujourd’hui aux renouvelables vers l’investissement dans les outils de productions pilotables, nucléaires ou non.

Toute autre mesure « attrayante » ne serait que cosmétique et dilatoire.

L’investissement dans le stockage, quelle que soit sa forme (batteries, gaz en cavité, hydrogène,…), serait ruineux et inefficace.  

Ces 10 associations professionnelles de l’industrie énergétique tirent la sonnette d’alarme. Si les gouvernements ne changent pas de cap dans la politique européenne de l’énergie, la solidarité actuelle entre les pays pour se secourir mutuellement en cas de besoin sera compromise d’ici quelques années.

Le « tocsin » sonné par de grands professionnels de la production d’énergie sera-t-il entendu cette fois par les gouvernements européens, notamment français ?


Annexe à l’article :

Electricité : 10 associations européennes tirent la sonnette d’alarme

Traduction en français par Michel Gay de la déclaration commune des 10 associations européennes de professionnels de l’énergie.

Réaliser les objectifs climatiques en Europe

Assurer la sécurité de l’approvisionnement

Appel commun d’associations de l’industrie et d’industries de l’énergie pour sécuriser l’alimentation électrique en Europe

Les états membres de l'Union européenne ont décidé de réorienter ensemble leur économie au cours des prochaines décennies vers une meilleure durabilité en accentuant la protection de l'environnement et du climat. Dans ce contexte, le développement de notre système de production d'énergie est fondamental.

Les associations signataires issues de l’industrie européenne de l'énergie s'engagent à respecter les principes centraux suivants, destinés à constituer le noyau d'une action responsable du secteur de l'énergie afin de garantir un approvisionnement énergétique sûr, durable et bon marché en Europe : 

-  Les associations européennes de l’industrie soutiennent les objectifs de la protection du climat. Les associations européennes de l’industrie comprennent la valeur du fonctionnement intégré du marché européen. Elles soutiennent son développement dans le cadre de la transition énergétique et de la coopération avec des pays tiers. Ces derniers qui font partie du réseau synchronisé, ou qui sont connectés à ce réseau en Europe continental, contribuent au transit d’électricité, à la sécurité de l’approvisionnement, et à la stabilité du réseau. Les Etats membres prennent différentes résolutions pour transformer leurs systèmes d’alimentation électrique. L’objectif est le bon fonctionnement du marché interne de l’électricité dont les problèmes sont mieux résolus en utilisant différentes solutions adéquates.Cependant, il apparaît déjà clairement que dans les changements en cours parmi les états membres, une attention toute particulière doit être apportée au développement des capacités "fermes" (firm capacity), c'est-à-dire disponibles et pilotables à la demande en fonction du besoin. Notre objectif commun est de maintenir la sécurité d'approvisionnement à l'intérieur du marché européen de l'électricité. En plus des moyens flexibles de production, de stockage et d’adaptation de la demande, les capacités et la disponibilité des interconnexions dans toute l’Europe jouent un rôle majeur pour atteindre cet objectif. Dans cette optique, la part croissante de la production d’énergie issue du vent et du soleil, et ayant des variations aléatoires (volatility), a une influence de plus en plus importante sur les moyens de productions disponibles et sur le réseau qui doit être équilibré en permanence. Dans le passé, cette compensation était assurée par des capacités pilotables largement suffisantes. Dans plusieurs pays, la situation a changé, ou commence à changer. Il y a aussi d'autres pays où la production suffisante ne sera pas assurée dans le futur. Cette tendance va s’amplifier parce que le marché de l'énergie ne donne plus aux fournisseurs d'énergies le cadre économique pour entreprendre la construction de nouvelles centrales électriques, ou de moyens de stockage, ou de développer la demande en fonction de la production (ou "Demand Side Response" en anglais : DSR) à l'échelle requise, et ainsi d'assurer des capacités disponibles et pilotables (firm capacity). Si cette tendance n'est pas contrée, la solidarité entre les pays, qui a été pratiquée jusqu'à présent, sera fragilisée dans quelques années à cause d'un manque d'adaptation de la demande à la production, de centrales électriques disponibles, ou de capacités de stockage.

Les associations européennes des industries énergétiques :

- estiment conjointement que la sécurité d'approvisionnement en Europe ne peut être assurée efficacement que dans le cadre d'un plus grand développement du marché intégré qui correspond au besoin de la transition énergétique, et par une coopération étroite de tous les Etats membres, ainsi que des pays tiers qui sont connectés au réseau synchronisé de l'Europe continental,

 - croient qu'il est essentiel qu'une attention plus importante soit accordée sur ce sujet au niveau européen dans le cadre d'une réflexion élargie à la conception du marché européen de l'électricité, - recommandent que la Commission européenne, les Etats membres et les pays tiers qui font partie du réseau synchronisé de l'Europe continental, ou qui y sont connectés, portent une attention particulière aux résultats du contrôle qui sera exercé par l'ENTSO-E[2], - sont très désireux d'avoir un dialogue constructif avec les gouvernements et les autorités officielles de leurs Etats, - sont d'accords pour échanger des idées et des expériences sur ce sujet à intervalles réguliers.

 

[1] Il s'agit de l'Union Française de l'Electricité (France), de l'Energy-UK (Royaume Uni), de l'Energie-Nederland (Pays Bas), du BDEW (Allemagne), du VSE (Suisse), de l'E-Wirtschaft (Autriche), de la FEBEG (Belgique),  et des organisations similaires norvégiennes, luxembourgeoises  et tchèques.

[2] European Network of Transmission System Operators for Electricity = Réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d’électricité

Articles récents