Le monstre énergétique chinois s’éveille … et ça va faire mal !

Par Michel Gay

La Chine développe à un rythme effréné ses capacités électronucléaires dans un double objectif de neutralité carbone et de sécurité énergétique.

Désormais dotée de ses propres technologies, forte d’un tissu industriel complet et performant, la Chine ambitionne de devenir bientôt le premier producteur électronucléaire mondial en construisant massivement et rapidement des réacteurs.

Nucléaire : en avant toute !

Malgré une importante production d’électricité nucléaire (à la deuxième place mondiale derrière les Etats-Unis), celle-ci ne représente encore que 5 % de son mix (60% pour la France, 30% pour la Corée du Sud, 20% pour les Etats-Unis, 13% pour le Canada).

Cependant, le nucléaire, une industrie jeune en Chine, devrait représenter 10% dans la production électrique du pays en 2035 et 20% en 2060.

En 2024, la production électrique annuelle d’origine nucléaire s’élevait à 450 térawattheures (TWh) (contre moins de 400 TWh en France) sur l’ensemble des 10.000 TWh d’électricité produite en Chine.

La Chine vise d’abord sa sécurité énergétique avant le développement des énergies décarbonées dont elle fixe la part à 40% dans sa production d’électricité qui, elle-même, ne compte que pour 20% de sa consommation énergétique totale reposant principalement sur le charbon.

Sa puissance électrique installée en 2025 est d’environ 3500 gigawatts (GW) pour une production annuelle en augmentation constante de 10.000 TWh, dont 14% pour l’hydroélectricité, 10% pour l’éolien, 8% pour le solaire, 5% pour le nucléaire, soit une part d’environ 40% pour les sources décarbonées, et de 60% pour le charbon et le gaz.

Début 2025, la Chine dispose de 61 GW de puissance nucléaire (58 réacteurs opérationnels). Elle a dépassé la France en 2025 par le nombre de réacteurs en fonction (57).

De plus, 31 réacteurs sont en construction (36 GW) simultanément et 25 réacteurs sont approuvés (30 GW) en attente de la coulée du premier béton, tandis que 41 futurs réacteurs ont été approuvés entre 2022 et 2025. Ces derniers sont tous de technologies chinoises : 26 Hualong-one, 14 CAP1000 et un HTR600s.

Le secteur du nucléaire en Chine se partage entre quatre exploitants, tous entreprises d’État (CNNC, CGN, SPIC et Huaneng).

En 10 ans, la Chine a doublé sa capacité électronucléaire installée de 2015 à 2024. Le pays construit la moitié des chantiers nucléaires du monde, et devrait poursuivre ce même rythme (6-8 réacteurs par an) sur le court-moyen terme.

Dans un futur proche, la Chine vise même une durée de construction de 4 ans pour ses réacteurs Hualong-one pendant que les chantiers européens et américains durent presque 10 ans.

Une utilisation diversifiée du nucléaire

Au-delà de la seule production d’électricité (qui servira également pour les véhicules électriques, un véhicule sur deux étant vendu avec une motorisation électrique), la Chine souhaite décarboner son industrie (40% des émissions) par la production de vapeur industrielle, et son secteur résidentiel (8% des émissions) par cogénération pour le chauffage urbain.

Dans cette optique, elle opère de nouveaux petits réacteurs modulaires SMR/AMR : ACP100 (ou Linglong-one) en construction, un HTR-PM depuis 2023, et deux réacteurs à neutrons rapides CFR600 dont le premier fonctionne depuis 2023, ainsi que des réacteurs dédiés au chauffage urbain : DHR-400 (Yanlong-one), NHR-200, CAP200 et HAPPY200.

La Chine est dorénavant un acteur incontournable dans les domaines des nouveaux petits réacteurs modulaires SMR/AMR qu’elle envisage d’utiliser pour :

  • la production d’électricité dans les zones reculées,
  • le chauffage urbain dans le nord du pays, le remplacement de centrales à charbon vieillissantes,
  • la production d’hydrogène vert,
  • l’approvisionnement en eau douce de régions en manque d’eau,
  • la fourniture d’énergie aux plateformes flottantes en mer de Chine.

Cette catégorie de SMR est également un moyen d’élargir son offre à l’export, notamment à destination des pays se lançant dans le nucléaire et ne disposant pas encore de réacteurs de puissance.

Elle ambitionne également de produire massivement une large palette de radio-isotopes à usage médical.

Unique en son genre, le parc électronucléaire chinois est doté de technologies variées :

  • française : quatre M310 à Daya Bay et deux EPR à Taishan,
  • canadienne : deux CANDU à Qinshan,
  • américaine : deux AP1000 à Haiyang et deux à Sanmen,
  • russe : quatre VVER de génération II en opération et quatre VVER1200 (Gen-III) en construction,
  • chinoise : Hualong-one, CAP1000 et CAP1400 (AP1000 américain sinisé).

Après le Hualong-1 (HPR1000) la Chine propose le Hualong-2 (AHPR1000) (puissance légèrement augmentée, plus modulaire, davantage de systèmes passifs, passage d’une double enceinte à une enceinte simple…), de durée de construction plus courte, et encore moins cher.

Une industrie récente et dynamique

L’industrie nucléaire chinoise a débuté en 1955 avec le premier réacteur de recherche à eau lourde construit avec l'aide de l'Union soviétique en 1958. Après 1960, elle s'est développée de manière autonome, en réussissant notamment les premiers essais militaires nucléaires (bombe atomique en 1964, bombe H en 1967 et sous-marin nucléaire en 1970).

La première centrale nucléaire conçue et construite par la Chine (Qinshan avec un réacteur de 300 MW) a été couplée au réseau en décembre 1991.

En 1994, la deuxième centrale nucléaire de la Chine, la centrale de Daya Bay, a été mise en service avec une coopération franco-chinoise : la technologie des deux réacteurs à eau pressurisée (REP) de 985 MW a été fournie par la France.

« Compter sur ses propres forces et coopérer avec l'étranger pour bénéficier des progrès technologiques ».

Durant les 12 dernières années (2014-2025), plus de 40 réacteurs de puissance ont été mis en service dans le pays alors qu’il n’y avait que 17 réacteurs en fonctionnement fin 2013. 

Les réacteurs nucléaires chinois sont jeunes, avec une moyenne d’âge d’environ 10 ans.

Rappel : La France a démarré 45 réacteurs sur 58 en moins de 10 ans entre 1980 et 1990, et jusqu’à 7 réacteurs ont été livrés la même année en 1981 ! (« Mais ça, c’était avant »…)

A court terme, la Chine s’est fixée l’objectif de 70 GW installés d’ici fin 2025. A plus long terme, la Chine pourrait disposer d’un parc nucléaire de 400 GW à horizon 2060.

Ses capacités industrielles actuelles peuvent lui permettre de mettre en chantier jusqu’à 40 réacteurs simultanément.

Autonomie et indépendance

« La Chine doit tenir le bol de riz de l’énergie entre ses mains ».

C’est ainsi que le 14ème Plan quinquennal de l’énergie publié en mars 2022 appelle à une autonomie dans le domaine de l’énergie. Le pays doit aujourd’hui faire face à deux impératifs, sécuriser et décarboner son énergie.

Elle sécurise son approvisionnement à l’étranger en exploitant des mines chinoises à l’étranger (Niger, Kazakhstan et Namibie, plus de 85% de ses importations) et par des contrats à long terme établis avec les fournisseurs internationaux. La production nationale ne couvre qu’une part minime de ses besoins.

Pour limiter sa consommation d’uranium en la divisant par 100 (!), et pour limiter ses déchets de haute radioactivité à longue vie (HAVL), la Chine investit aussi massivement dans les réacteurs de génération IV surgénérateurs à l’uranium et aussi au thorium.

C’est le seul pays à développer cinq des six technologies de génération IV reconnues par le forum international dédié à cette technologie (GIF).

Son premier réacteur rapide expérimental et refroidi au sodium China Experimental Fast Reactor (CEFR) de puissance électrique de 20 MW, est opérationnel depuis 2011 à Pékin. Il a conduit au développement de deux démonstrateurs de 600 MW (CFR600), dont le premier a divergé en 2023 et le second devrait démarrer en 2026. La Chine est ainsi le seul pays avec la Russie à faire fonctionner ces réacteurs du futur alors que la France a arrêté son réacteur surgénérateur à neutrons rapides Superphénix en 1997.

La Chine est aussi un acteur clé dans le domaine de la fusion nucléaire qui n’utilise pas d’uranium mais deux formes de l’hydrogène (appelées deutérium et tritium). Elle participe au programme international de fusion ITER en France (à Cadarache) et bat régulièrement des records physiques dans la fusion avec ses tokamaks HL-3 et EAST. Sa feuille de route est ambitieuse avec la construction d’un nouveau tokamak BEST et la plateforme correspondante CRAFT (Comprehensive Research Facility for Fusion Technology).

Une production d’électricité issue de la fusion serait envisagée bien au-delà de 2050.

Un cycle semi-fermé

La stratégie chinoise semble être un cycle uranium semi-fermé, avec un parc mixte composé de réacteurs de troisième génération (REP), de réacteurs de quatrième génération à neutrons rapides (RNR surgénérateur) et de CANDU, nécessitant un apport continu en uranium naturel.

Si la part des REP et des RNR est destinée à croitre de manière importante d’ici 2060, la composante CANDU est principalement dimensionnée pour permettre le recyclage de l’uranium retraité (URT) après utilisation en réacteur. La part des capacités REP se stabiliserait autour de 200 GW en 2045, tandis que les RNR, d’une capacité estimée à 40 GW en 2050, devraient dépasser la capacité REP en 2060 pour atteindre une capacité totale de 400 GW.

Si la Chine parvenait à construire chaque réacteur en 60 mois (voire en 48 mois), avec un rythme de lancement de 6-8 réacteurs par an, elle arriverait à atteindre cet objectif ambitieux et gigantesque de 400 GW en 2060 (quatre fois la puissance actuelle des Etats-Unis).

Cependant, il existe une préoccupation concernant la main d’œuvre (disponibilité des ouvriers sur de nombreux chantiers différents, leur qualification, ou encore leur moyenne d’âge relativement élevée).

Les besoins en combustible nucléaire

Les besoins annuels en uranium de la Chine atteindraient plus de 15 000 tonnes fin 2025 (déjà 20% de la demande mondiale), faisant de la Chine le deuxième consommateur d’uranium derrière les Etats-Unis (18.000 tonnes), et devant la France (8.000 tonnes).

Ses besoins s’élèveraient à plus de 40.000 tonnes par an d’ici… 2040. La Chine serait alors le premier consommateur mondial d’uranium, compte-tenu du rythme de progression des Etats-Unis et des pays européens.

La dynamique d’expansion du parc électronucléaire chinois, avec 58 réacteurs en fonctionnement à ce jour et un objectif affiché de 70 GW nucléaires pour fin 2025, laisse entrevoir une tension sur l’amont du cycle combustible en Chine, en particulier pour l’approvisionnement en uranium naturel et enrichi.

Ainsi en 2023, avec une demande d’environ 12.000 tonnes, la Chine a importé 7.000 tonnes de ses mines à l’étranger, 8000 tonnes de ses contrats à long terme, et a produit seulement 1800 tonnes sur son sol. Le surplus d’importation sert à alimenter la réserve nationale d’uranium mise en place par la Chine en 2007.

Depuis 5 ans, la Chine importe un surplus annuel d’uranium variant entre 1000 et 5000 tonnes. Le stock chinois d’uranium serait de plus de 200.000 tonnes, correspondant à plus de 10 ans de ses besoins actuels.

Seuls cinq pays (la France, le Canada, les Etats-Unis, la Russie et la Chine) sont capables de convertir l’uranium pour permettre son enrichissement afin d’en faire un combustible nucléaire. Cette opération est réalisée par seulement quatre acteurs industriels (URENCO : entreprise anglo-germano-néerlandaise, Orano : France, Rosatom : Russie et CNNC : Chine).

Si la Chine a les capacités nécessaires de production pour alimenter son parc nucléaire en combustible depuis 2019, ces derniers restent sous licences étrangères. En 2024, seuls 2% des combustibles utilisés dans les REP du pays proviendraient de combustibles sous licence chinoise.

Pour se sortir de cette situation de dépendance, la Chine développe ses propres types de combustibles afin de créer des marques domestiques. L’objectif est de faciliter l’exportation des réacteurs chinois comme le Hualong-one et le CAP1400. En effet la Chine ne peut exporter, sans autorisation préalable, des combustibles sous licence étrangère.

Le charbon reste le pilier du secteur énergétique chinois

Le charbon reste la base du mix énergétique et électrique chinois (électricité produite à 0,04€/kWh). La Chine dispose des quatrièmes réserves mondiales de charbon qui représente 56% de la consommation d’énergie primaire de la Chine et presque 60% de l’électricité du pays.

La Chine a adopté une approche prudente lors de la COP28 de Dubaï à l’automne 2023, rejetant toute mention de « sortie progressive » du charbon, y préférant le terme de « réduction progressive », notamment grâce au nucléaire et aux énergies renouvelables (barrage, éolien, solaire).

L’hydroélectricité : source majeure d’électricité propre

L’hydroélectricité représente 14 % du mix électrique du pays en 2024, pour une production de 1500 TWh représentant 40% de son électricité bas carbone.

Depuis 1996, la Chine est le pays contribuant le plus à la croissance de l’hydroélectricité dans le monde et ses capacités (environ 450 GW installés) représentent 30 % de la capacité mondiale installée.

Elle possède les deux plus grands barrages hydroélectriques du monde : les Trois Gorges (22,5 GW), achevé en 2012 avec ses 34 turbines pleinement opérationnelles depuis 2021, et Baihetan (16 GW) depuis fin 2022.

En décembre 2024, la Chine a approuvé un projet hydroélectrique équivalent à trois fois celui des Trois Gorges, sur l’amont du Fleuve Brahmapoutre proche de l’Inde.

Certains barrages permettant de pomper de l’eau pour stocker l’énergie, appelés stations de transfert d’énergie par pompage-turbinage (STEP) représentent aujourd’hui l’essentiel de la croissance de l’hydroélectricité en Chine. Ces ouvrages sont essentiels à l’intégration des énergies renouvelables intermittentes éoliennes et solaires dans le réseau électrique car ce sont les moyens de stockage d’électricité les plus matures, massifs et économiques existants.

La capacité installé des STEP (environ 60 GW) est la plus importante au monde depuis 2016. L’objectif est de 305 GW installés dans… 10 ans ! (En 2035).

Mainmise sur les énergies renouvelables

La Chine est depuis plusieurs années la championne mondiale des énergies renouvelables en matière d’innovation technologique, de maîtrise des chaînes de valeur, d’installation et de production électrique. Solaire (900 GW), éolien (550 GW) et hydroélectricité (450 GW) dépassent désormais les capacités fossiles installées (1500 GW).

Cette formidable croissance est principalement due aux installations solaires photovoltaïques (+217 GW en 2023 et +277 GW en 2024).

La part occupée par les renouvelables dans le mix de production électrique (environ le tiers) reste néanmoins nettement inférieure à celle du charbon.

Le développement rapide du solaire photovoltaïque et de l’éolien en Chine s’affranchit désormais des subventions de l’Etat depuis fin 2021. Ces moyens sont désormais compétitifs en Chine avec les centrales au charbon.

La Chine produit 85% des lingots de silicium dans le monde, 96% des plaquettes, 85% des cellules et 80% des modules pour le solaire photovoltaïque, et 60% des turbines mondiales pour les éoliennes.

Elle construit également 40% des électrolyseurs et contrôle l’ensemble de la chaîne de valeur des batteries (BYD et CATL produisent à eux seuls plus de la moitié des batteries pour véhicules électriques dans le monde).

Enfin, le pays dispose de quasi-monopoles dans les activités de raffinage des matières premières essentielles aux énergies renouvelables (graphite naturel 98%, terres rares 90%, cobalt 73%, nickel 68%, lithium 59%).

Ça va faire mal…

Soutenue par une intense recherche scientifique, l’impressionnant programme de développement du secteur énergétique chinois gonfle rapidement. Il dominera bientôt le monde par son efficacité issue de son expérience, et par sa technologie, aussi bien dans le nucléaire que dans les énergies renouvelables et dans les solutions de stockage d’énergie.

Les Européens empêtrés dans leur désastreuse transition énergétique fondée essentiellement sur des énergies intermittentes éoliennes et solaires chantée par l’Allemagne dédaignant le nucléaire, pourraient bientôt se retrouver fort dépourvus quand la Chine mènera la danse…

« Que faisiez-vous au temps chaud ?

Dit-elle à cette emprunteuse.

- Nuit et jour à tout venant

Je chantais, ne vous déplaise.

- Vous chantiez ? J’en suis fort aise :

Eh bien ! dansez maintenant. »

(La cigale et la fourmi de Jean de La Fontaine)